samedi 20 avril 2013

Répartition de la richesse et économie allemande : une petite démythification


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Dans ce papier nous interrogeons l’économie allemande dans une double perspective. Aux USA, le partage de la richesse nationale a abouti à une répartition du revenu défavorable aux revenus salariaux et à l’investissement. Cette défaveur a entraîné un lent affaiblissement du taux d’investissement productif et une inégalité croissante des revenus entre le Top Ten (ou 20 des ménages) et le reste de la population. .
La chute du taux d’investissement - totalement compatible avec la nécessité de délocaliser la production industrielle et de produire des marchandises entrant dans la consommation des ménages - s’est accompagnée d’un partage des revenus de la propriété du capital (Revenu de la propriété directe et indirecte des entreprises + intérêts des placements financiers) toujours plus favorable à une fraction réduite des Américains.
Une question se pose donc : peut-on retrouver dans l’économie allemande des traits similaires permettant de montrer que l’Allemagne suit les Etats-Unis en manifestant des tendances au déclin spécifique.
Il va sans le dire que ces tendances ne peuvent pas se reproduire à l’identique. C’est pourquoi nous devrons être très attentif à la manière dont des phénomènes communs peuvent s’exprimer de manière à chaque fois particulière : les Allemands ne sont pas des Américains.
Ce papier se penche sur la période allant de la réunification à 2012. Cette période est fondamentale : en effet à partir des réformes Schröder, l’économie allemande renforce sa compétitivité en modérant fortement ses salaires. Il faut donc s’interroger et déterminer à qui a profité la richesse produite. Ce sera notre premier point (A). Il faudra ensuite examiner la logique de l’investissement productif – bâtiment inclus (B). On verra que l’investissement allemand a pris une forme ambiguë et que les données disponibles ne vont pas sans poser des problèmes d’interprétation.
Nous essaierons en conclusion de montrer que des tendances profondes conduisant à des problèmes inévitables d’investissement et de partage du revenu ont été suspendues par la crise. Notre conclusion restera ouverte et problématique en raison de données passablement contradictoires et d’une américanisation suspendue.

A – La répartition du revenu national Allemand.
Le revenu national allemand se compose des revenus de la propriété du capital (A = Property and entrepreneurial  income),  des compensations des employés constituée des salaires directes et des prestations indirectes, retraites inclues (B = Compensation of Employees), des taxes sur la production et les importations (C = Tax on production and imports) et de la formation de capital fixe (D = Gross fixed capital formation).
Le Revenu National Brut diffère du PIB car il est ajouté à ce dernier le solde des revenus du capital (Intérêt Profits et Dividende). Dans le cas de l’Allemagne, ce solde étant positif, le RNB est légèrement supérieur au PIB.
Les revenus de la propriété du capital sont calculés en net : Revenus reçus moins revenus payés.

Le partage du revenu fait apparaître des périodes bien marquées.
De 1992 à 1999, les progressions des composantes du revenu sont grossièrement parallèles.
- Les revenus de la propriété du capital (A) s’accroissent légèrement avant de chuter modestement à la fin de la décennie.
- La compensation (B) connaît une augmentation certaine ponctuée par un tassement (1995-1997)
- Les Taxes sur la production et les importations (C) et la formation brute de capital fixe (D) augmentent régulièrement, ils restent grosso modo identiques.
Les années Schröder (1998-2005) se distinguent par une rupture débutant à partir du second mandat Schröder (2002-2005).  Alors que le premier mandat Schröder (1998-2001) était marqué par une augmentation des compensations et une chute des revenus de la propriété du capital, le second mandat Schröder se caractérise par une stabilisation des compensations et une formidable croissance des revenus de la propriété du capital ; toutes choses restant identiques par ailleurs (C et D)
La venue au pouvoir de Me Merkel (2005 & sv.) et la crise auront pour effet d’entraîner un arbitrage entre les catégories de revenu national moins favorable au revenu de la propriété du capital et plus favorable au compensation, toutes choses continuant par ailleurs d’être grossièrement identiques (C et D). La crise explique ce phénomène par les difficultés des entreprises possédées directement et indirectement  (actions), par la chute des taux d’intérêt et la contraction des activités financières nationales et internationales (Solde net des Intérêts, profit et dividende de la balance des revenus des capitaux).

Un examen des composantes du RNB exprimé en pourcentage permet d’examiner plus finement les choses.
1° Première évidence, le partage du RNB est depuis 20 ans défavorable aux compensations. Les années Schröder n’ont pas réellement inversé une tendance à l’érosion de la part des compensations dans le revenu (1992-1998). Lors de son premier mandat, Le Chancelier Schröder stabilise la part des compensations, mais les réformes de son second mandat accélèrent comme jamais la chute des compensations qui se poursuit sous la chancelière Merkel.
2° Deuxième évidence : le recul de la part des compensations a des causes multiples avant la période du second mandat Schröder et des années Merkel. On y trouve le redressement des revenus de la propriété du capital (1993-1997), des taxes sur la production et les importations (1992-2002) ou de la Formation Brute de capital fixe (1992-2002).
C’est seulement à partir des réformes du second Mandat Schröder et des années Merkel que la corrélation centrale entre hausse des revenus de la propriété et baisse des compensations se dessine très clairement avec un effet légèrement négatif sur la formation de capital fixe qui chute légèrement.
Il est notable que la chute du taux d’investissement est sensible à partir de 2002 et que la crise a pour effet de l’inverser très modestement dès 2008.
Avant de quitter cette première partie de notre papier, nous voulons souligner que durant la période de basculement d’une logique économique traditionnelle (1992-2001) dans une autre (2002-2007), les Taxes sur la production et les importations sont restées neutres : dans le partage du revenu, elles stagnent.
Au total, il semble que l’Allemagne n’ait connu qu’une redistribution de son revenu national en faveur des revenus de la propriété du capital comme c’est le cas aux USA et au détriment des revenus salariaux directs et indirects. A contrario, ce phénomène ne semble pas s’accompagner d’une chute du taux d’investissement productif.  Et il paraît aussi que la crise a globalement joué en faveur des compensations et au détriment des revenus de la propriété du capital. La crise aurait à l’avantage des compensations et en défaveur des revenus de la propriété du capital, la tendance à l’inégalité croissante de la répartition du revenu aurait été arrêtée ou suspendue.
B – Des logiques d’investissements.

Pour mesurer l’Investissement total ou la formation brute de capital des entreprises, des administrations publiques et des personnes privées,  il faut additionner les investissement privés dans les logements (E), Les investissements publics (F) et les investissement productifs (A), résultant des investissements dans les machines et équipements (B), des bâtiments à vocation productive (C) et d’une reliquat d’investissement productif que DESTATIS n’intègre pas toujours à la FBCF des entreprises privées.
On constate alors que l’investissement productif (A) se distingue par une syncope durant les années 2001-2005 et qu’il reprend son essor à dater de 2006. La comparaison avec sa part dans le revenu national change du tout au tout ;  avec ces nouvelles données offertes par DESTATIS, il n’est pas possible de mettre en cohérence les données : la FBCF n’est plus calculée de la même manière !!!

Ce qui nous intéresse dans ce schéma, c’est une chose : le taux d’investissement productif des entreprises baisse à partir de 1992 et il y a une cassure entre les années allant de 1992 au premier mandat Schröder. La différence essentielle avec nos constats antérieurs est la suivante : le partage du revenu fait apparaître un taux d’investissement stable (+ou-15 %) alors que le taux calculé ici même s’érode dans les années 90 puis chute après 2000.

Ce nouveau graphique indique comment a pu être géré la chute du taux d’investissement pour ne pas pénaliser la compétitivité des entreprises allemandes. La chute de l’investissement de l’ensemble des entreprises a pu être neutralisé par le maintien du taux d’investissement dans les machines et biens d’équipement alors que les investissements dans les bâtiments payaient le prix fort de la chute du taux d’investissement.
Nous pouvons peut-être lever ici partiellement notre contradiction statistique en reformulant nos idées. Si le taux d’investissement a été constant et que l’outil de production a été préféré à l’investissement dans les bâtiments alors la structure déséquilibrée de l’investissement est la traduction germaniques des effets de la montée de la part des revenus de la propriété du capital qui affecte et les compensation et les investissements. Les statistiques allemandes contradictoires peuvent soutenir cette thèse sur la base de la répartition du revenu. 2° Si le taux d’investissement est à la baisse, la thèse précédente est toujours valable moyennant une reformulation partielle : la préférence accordée aux outils de production sur les bâtiments est le moyen original qu’a eu le capitalisme allemand de préserver sa compétitivité. Mais, il y a bien eu érosion de l’investissement productif.
Quant à la crise actuelle, elle apparaît avoir simplement suspendu un processus qui est à terme insoutenable. Les investissements dans les bâtiments ne peuvent être durablement négligés.
Il faut alors s’interroger sur la validité des statistiques allemandes utilisées dans ce papier : laquelle des deux statistiques utilisées en A et B nous renseigne le mieux sur le taux d’investissement ?

L’expression sous forme de taux du PIB des revenus de la propriété du capital et de la FBCF montre qu’il existe une relation inverse entre le taux d’accroissement des revenus de la propriété du capital et le taux d’investissement productif. Ce sont donc les revenus de la propriété du capital qui semblent peser de manière marquée  sur les taux d’accumulation.
De ce point de vue, nous sommes très près de la thèse que nous défendons sur ce blog : à savoir que la formation des revenus du top 10 des ménages (ou 20 en comptant large)  – très largement due aux inégalités de répartition de la propriété du capital – pèse sur le niveau de l’investissement. Les allemands se sont accommodés semble-t-il de cette pression en évitant une baisse du taux d’accumulation productif au travers d’un aménagement provisoire de l’investissement défavorable aux investissements dans les bâtiments.

On voit par contre qu’il n’existe pas une relation aussi claire entre chute de l’investissement et chute des compensation. Si elle déterminait le niveau de l’investissement, la chute des compensation devrait nourrir une montée des taux d’investissement. Or il n’en est rien entre 1992 et 2007.
Il semble donc que ce qu’occulte notre première série de statistique (A), ce soit la relation profonde entre chute du taux d’investissement et accroissement des revenus de la propriété pesant aussi bien sur la part des compensations que sur celle de l’investissement.
C – Des Composantes des compensations.

La comparaison des composantes des compensations est intéressante. Le salaire horaire n’est qu’une partie du coût horaire du travail incluant les prestations indirectes. On peut donc distinguer en eux une différence entre Salaire (B) et compensation (A). On retrouve ici un processus similaire aux évolutions de l’investissement productif. Jusqu’aux reformes Schröder, la progression du salaire horaire est parallèle à celle des compensations. Après 2002,  la  très faible progression des compensations  s’explique par la très forte chute du salaire horaire qui en fait partie. Et de nouveau, salaire et compensation marchent de nouveau de conserve avec la crise. Les économies réalisées sur les bâtiments se retrouvent donc dans les économies faites sur le salaire horaire qui connaît une évolution négative en indice.
Conclusion
Il nous semble probable que la chute du taux d’investissement allemand est un fait réel et qu’il résulte moins des fluctuation des coûts directs et indirects du travail que des revenus de la propriété du capital. Nous croyons probable que la chute du taux d’investissement est d’abord la résultante des évolutions des revenus de la propriété du capital et ensuite, pour une part plus faible, des coûts du travail qui n’en sont pas le déterminant essentiel. Ces coûts du travail ont subi de plein fouet les reformes Schröder qui les ont fait baisser de manière sensible.
Pour amortir la chute du taux d’investissement et son effet négatif sur la compétitivité du pays, les entreprises allemandes ont sacrifié l’investissement dans les bâtiments et maintenu un investissement régulier dans les machines et bien d’équipement. Pour disposer de capacité d’investissement compatible avec la montée des revenus de la propriété du capital, l’économie allemande, l’Allemagne a réalisé un arbitrage défavorable au salaire mais sans attaquer trop fortement le salaire indirect.
On perçoit donc une similitude frappante entre les USA et l’Allemagne. Dans ces deux pays le taux d’investissement à baissé et le partage de la richesse créée s’est fait au profit des revenus de la propriété du capital et au détriment des salaires et des investissements. Mais la structure, encore industrielle de l’économie allemande, a plaidé pour un maintien de l’investissement productif dans les machines et biens d’équipement alors que la dimension sociale de l’économie faisait peser sur les salaires directs le poids de ce partage inégal.
Les structures industrielles et sociales du pays ont modifié les conditions de l’expression du déclin économique du pays qui se trahit toujours pas un enrichissement accéléré des couches supérieures de la population. Au revenu de la propriété du capital ; il faut ajouter la polarisation des revenus du travail vers le haut de la pyramide sociale.
La vitesse à laquelle se torde la répartition du revenu en faveur des revenus supérieur est à la mesure de la vitesse à laquelle elle précipite leur pays dans le déclin. Après 2002, les classes dirigeantes allemandes étaient visiblement pressées. Elles se sont dotées de capacité d’accumulation de revenu et de patrimoine nouvelles.
En suspendant ce processus d’enrichissement d’une minorité et de déclin du pays, la crise a arrêté un processus ressemblant à un raccourci historique par accélération brusque. Nous n’insisterons pas trop sur le fait que l’économie sociale de marché et la sociale démocratie ont été enterrées par le chancelier Schröder.
Après 2002, les riches allemands ont littéralement couru  derrière leurs homologues américains qui ont mis une trentaine d’années pour couler leur pays.  En accélérant le pas, nos cousins germains, productivement pusillanimes, se rapprochaient à grands pas de la situation américaine. Il leur aurait suffi d’une petite quinzaine d’années pour jouer dans la cour des grands du déclin.
La crise a donc été positive pour le pays dans son ensemble, elle a gelé le processus.
L’Allemagne, disions-nous dans un papier récent, c’est plein de surprises. Nous voilà bien éloigné du pays modèle dont la classe politique française nous rebat les oreilles.
Et puis, il faudrait s’interroger sur les performances allemandes. Soyons clairs, la balance positive des revenus du capital (Intérêt, profit et dividende) gonfle les revenus de la propriété du capital qui font parti du revenu national, de même la chute du taux d’investissement trahit le fait que l’Allemagne est une puissance industrielle assemblant des produits qu’elle crée de moins en moins. En maîtrisant la chaîne d’assemblage, l’Allemagne se trouve aussi en haut de la chaîne de valeur dont elle peut s’approprier une part considérable en estampillant les produits made in Germany. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la qualité des produits allemands, mais de souligner que la richesse nationale allemande s’en trouve gonflée d’un volume de valeur très inégalement partagé entre les Allemands.
Soulignons encore que le taux d’investissement en chute s’accompagne d’une modernisation des services illustrée par les évolutions de la balance des services dont le déficit est aujourd’hui résorbé. Il s’ensuit que le taux d’investissement industriel a subi une diminution.
Or le déclin industriel est l’antichambre des phénomène conduisant peu ou prou à la situation américaines par des voies à chaque fois originales. Et assurer la croissance par les services – comme peuvent aujourd’hui le faire nos voisins d’outre-Rhin, c’est s’engager dans une impasse que les USA paient au prix fort : la croissance endogène à l’économie ne peut pas revenir.
Ce petit papier est donc une modeste contribution à la démythification de l’Allemagne. Pays exotique, plein de surprises.
Onubre Einz
To continue
Je vous rapelle l'existence d'un nouveau site qui a quelques ratés.
http://usacrise.com/wordpress/?p=28.
Où vous pouvez déjà apporter un soutien financier.

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